Savoir ou périr…
Dans son dernier essai (Savoir ou périr, éd. du Seuil, 2025), Bernard Lahire développe la thèse selon laquelle la connaissance constitue une nécessité vitale absolue pour l'humanité plutôt qu'une simple option culturelle. Une perspective qui confère à l'éducation et à la recherche scientifique une dimension existentielle...
Le sociologue commence par dresser un diagnostic sévère du système éducatif et de recherche français actuel, qu'il considère comme structurellement défaillant. Des moyens insuffisants, des programmes surchargés, l'obsession de l'évaluation au détriment de l'apprentissage, une séparation hiérarchique des élèves et surtout la mise en concurrence généralisée : autant de réalités qui créent un environnement particulièrement toxique pour nos jeunes, souvent malheureux et condamnés à réprimer leur curiosité.
Dans ce contexte, comment nos capacités d'adaptation collective pourront-elles s'épanouir face aux défis contemporains ?
Une question d’autant plus cruciale à l'ère de l'IA Générale naissante et de la menace de la “rupture anthropologique” qui pèse désormais sur nous comme une épée de Damoclès. En effet : si la connaissance et la réflexion constituent effectivement notre essence vitale, que devient l'humanité si elle délègue massivement ses capacités cognitives à des machines ? Ne va-t-on pas se retrouver dans une situation paradoxale inédite où l'espèce humaine se retrouvera déchargée de la nécessité de réfléchir, une capacité qui a pourtant assuré sa survie pendant des millénaires ? Le risque n’est-il pas que, très bientôt s’installe une atrophie cognitive collective qui rendrait l’humanité, perdant progressivement ses savoirs essentiels et sa capacité d'analyse critique, entièrement dépendante de systèmes technologiques ?
En attendant, si la connaissance demeure notre essence, alors apprendre à coexister intelligemment avec l'IA devient une nouvelle compétence vitale. Développer notre capacité à poser les bonnes questions, à exercer notre jugement critique et à préserver notre autonomie de pensée pour survivre à l'IA : voilà peut-être l'enjeu fondamental de ce deuxième quart du XXIe siècle…
Pour prolonger :
Ralentir – C’est la condition de toute pensée véritable. Prendre le temps nécessaire d'approfondir et de reprendre les problèmes sous différents angles plutôt que de rester dans le survol superficiel. Lahire cite l'exemple de Richard Hoggart qui n'a vraiment découvert Shakespeare qu'après ses études universitaires, tant le rythme effréné de formation empêchait de se laisser “pénétrer par la force des œuvres”…
Bernard Lahire : « Le système éducatif tout entier fonctionne à l’envers »
Pour le sociologue Bernard Lahire, à l’école “l’obsession de l’évaluation produit de la peur”
Lien fondamental entre apprentissage et survie – Lahire explique que tous les êtres vivants, des unicellulaires aux humains, possèdent des capacités d'apprentissage vitales pour s'adapter à leur environnement. Pour l'humanité, l'école représente la systématisation de cette transmission de connaissances… Autrement dit, si l’école s’affaiblit, c’est notre capacité d'adaptation et de survie collective qui est en jeu…
« On décuplerait nos moyens de survie si l’on faisait en sorte d’alléger des programmes surchargés, de redonner du temps aux enseignants, aux élèves et aux chercheurs, de calmer cette obsession de l’évaluation, du classement, du palmarès des « meilleurs » lycées, universités ou grandes écoles, et de chérir la curiosité des élèves le plus longtemps possible. J’en suis convaincu. »